Très en verve à la tribune des Nations unies, le président guinéen a prononcé un discours incisif, dénonçant l’échec du modèle démocratique occidental appliqué à l’Afrique. Il faut, a-t-il insisté, cesser de « traiter les Africains comme des enfants ».
Certains ne manqueront pas d’y déceler des élans sankaristes et de faire un parallèle avec le discours prononcé à New York en 1984 par l’ancien président burkinabè, Thomas Sankara. Prenant la parole lors de la 78e assemblée générale des Nations unies le 21 septembre, Mamadi Doumbouya s’est livré à un exercice de style efficace, s’insurgeant contre le « modèle démocratique […] insidieusement et savamment imposé [à l’Afrique] » et dénonçant les règles « obsolètes » établies au lendemain de la seconde guerre mondiale, à une époque où les États africains « n’existaient pas encore ».
« Un regard neuf »
Appelant la communauté internationale à porter sur le continent « un regard neuf » et à entreprendre avec lui « une coopération franche dans un esprit de partenariat gagnant-gagnant », le tombeur d’Alpha Condé a tenu à faire passer certains messages à ceux qui « condamnent, sanctionnent [et] s’émeuvent » de « l’épidémie de coups d’État en Afrique ». Les mots choisis par le chef de la junte guinéenne ne doivent rien au hasard. Au lendemain du putsch perpétré le 26 juillet au Niger, c’est en ces termes qu’avait réagi le président Emmanuel Macron devant la conférence des ambassadeurs français.
« La communauté internationale doit avoir l’honnêteté et la correction de ne pas se contenter de dénoncer les seules conséquences, mais de s’intéresser et de traiter les causes, a lancé Mamadi Doumbouya à la tribune. Si les coups d’État se sont multipliés en Afrique, c’est parce qu’il y a des raisons très profondes. Et pour traiter le mal, il faut s’intéresser aux racines. »
« Putschistes en col blanc »
À en croire le chef de l’État guinéen, l’origine du mal est à chercher du côté de ceux « qui ne font l’objet d’aucune condamnation, qui manigancent, qui utilisent la fourberie, qui trichent pour manipuler les textes de la Constitution afin de se maintenir éternellement au pouvoir ». « Ces putschistes en col blanc qui modifient les règles du jeu au cours de la partie pour conserver les rênes du pouvoir », a-t-il martelé. Une allusion très claire au troisième mandat d’Alpha Condé, entamé en novembre 2020 et dont les vives contestations en Guinée avaient été réprimées dans le sang, faisant des dizaines de victimes.
Confiscation illimitée du pouvoir, spoliation des ressources, mal-gouvernance… Celui qui a renversé Alpha Condé le 5 septembre 2021 n’a pas retenu les coups. « Permettez-moi de pousser l’exercice de vérité un peu plus loin, a-t-il repris. Avec ma courte mais intense expérience de la gestion d’un État, j’ai mieux mesuré à quel point [le modèle de démocratie occidental] a surtout contribué à entretenir un système d’exploitation et de pillage de nos ressources par les autres. Et une corruption très active de nos élites. Ces leaders nationaux, à qui on a souvent accordé des certificats de démocrates, en fonction de leur docilité ou de leur aptitude à brader les ressources et les biens de leur peuple. »
« Encore un bidasse qui veut tordre le coup à la démocratie »
Le président de la transition guinéenne a dénoncé avec ferveur l’inadéquation « d’un modèle de gouvernance […] imposé » au continent, « un modèle certes bon et efficace pour l’Occident qui l’a conçu au fil de son histoire, mais qui a du mal à passer et à s’adapter à notre réalité, à nos coutumes, à notre environnement ». « La greffe n’a pas pris », a tranché Mamadi Doumbouya
Pour autant, le colonel s’est défendu de toute velléité autoritaire. « Lorsque je dis cela, je sais qu’ils sont nombreux à se dire ‘Encore un bidasse qui veut tordre le coup à la démocratie, encore un soldat qui veut imposer sa dictature’. Cependant, […] nous sommes tous conscients que ce modèle de démocratie ne marche pas. Les différents indices économiques et sociaux sont là pour le démontrer, ce n’est pas un jugement de valeur sur la démocratie en elle-même, c’est un constat, un bilan sur plusieurs décennies d’expérimentation chaotique. »
Appelant à cesser de « faire la leçon » à l’Afrique et de traiter les Africains « comme des enfants », Mamadi Doumbouya s’est dit insulté par « les cases, les classements qui tantôt placent [les Africains] sous influence des Américains, tantôt sous celle des Anglais, tantôt des Français, Chinois, Russes ou Turques ». « Nous ne sommes ni pro ni anti-Américains… Ni pro ni anti-Chinois, ni pro ni-anti Français, ni pro ni anti-Russes. Nous sommes tout simplement pro-Africains », a-t-il martelé sous les applaudissements d’un auditorium clairsemé. « Il est important, dans cette prestigieuse et influence Assemblée, que l’on comprenne clairement que l’Afrique de papa, la vieille Afrique, c’est terminé. »