Premier engagement sous le drapeau français
Car il faut le souligner, avant même de devenir le premier Africain à avoir dirigé une institution du système des Nations unies, Amadou Mahtar Mbow, né le 20 mars 1921 à Dakar, a d’abord participé en tant que volontaire à la Seconde Guerre mondiale sous le drapeau français, pays dont il possédait déjà la nationalité. Il avait alors 19 ans et s’engageait dans l’armée de l’air française. Une décision qui marqua pour toujours son long parcours. En effet, il n’allait pas de soi à cette époque pour cet ancien élève talibé qui grandit dans le contexte colonial de s’engager pour défendre le drapeau du pays colonisateur. D’autant plus qu’Amadou Mahtar Mbow a grandi à Louga, une ville à la croisée des routes caravanières marchandes transsahariennes et un centre névralgique pour l’administration coloniale française.
Comment cet homme qui aspirait à libérer son pays du joug colonial a-t-il réussi à s’engager pour défendre ce même oppresseur face à la menace nazie ? Amadou Mahtar Mbow, imprégné des valeurs de justice et de paix, avait en réalité déjà commencé à réfléchir aux questions de l’injustice sur sa propre trajectoire et, au-delà, sur la place du continent africain dans le concert des nations. S’engager va produire chez lui une réelle prise de conscience et constituer le point de départ de sa construction intellectuelle.
Un parcours au cœur de l’histoire
Démobilisé à la fin de la guerre, il entreprend des études d’histoire et de géographie à la Sorbonne à Paris. Là, son militantisme estudiantin et ses écrits, au sein de l’Association des étudiants coloniaux, qu’il préside, puis de la Fédération des étudiants d’Afrique noire de France (FEANF), dont il fut l’un des principaux fondateurs, en font l’un des fervents défenseurs de l’indépendance de son pays. Résolument dans l’action, Amadou Mahtar Mbow a activement participé à la constitution de l’État sénégalais. Durant cette période, il est convaincu que l’éducation dite de base doit être au centre de l’apprentissage de la vie.
Il s’engage ensuite comme enseignant, en Mauritanie et dans le Sénégal profond au cœur de la ruralité, mais ces deux pays sont encore soumis au pouvoir colonial. C’est dans ce contexte qu’« il s’est efforcé d’éveiller la conscience de ses élèves à l’histoire du monde et à celle de l’Afrique, en particulier, ainsi qu’aux responsabilités qui incombent aux élites modernes dans leurs sociétés », décrivaient des historiens à l’occasion de son centenaire, en 2021. « Il s’est efforcé aussi de susciter en eux le goût de l’effort et la volonté de réussir. »
Ministre de l’Éducation, de la Culture, de la Jeunesse et des Sports de 1957 à 1958 dans le gouvernement sénégalais issu de la loi-cadre qui crée des États autonomes en Afrique-Occidentale française, il fut à l’indépendance, pendant huit ans, un opposant au président sénégalais Léopold Sédar Senghor, avant de devenir son ministre de l’Éducation entre 1968 et 1970.« Amadou Mahtar Mbow est un homme de pensée et d’actions. Il a su répondre aux fortes attentes de ses contemporains pour un monde plus juste et plus équitable », disait de lui l’ex-président sénégalais Macky Sall. Pour l’ancien président du Mali et ancien chef de la commission de l’Union africaine Alpha Oumar Konaré, Amadou Mahtar Mbow était « un grand Africain, un citoyen africain, un citoyen du monde ».
Plaidoyer pour le multilatéralisme
Pour mémoire, son séjour à l’Unesco en tant que représentant de ce que l’on appelait alors le tiers-monde en pleine guerre froide a aussi été marqué par le soutien apporté « à des mouvements de libération nationale, sa protection des artistes et de l’environnement, et surtout sa ferme mobilisation pour la sauvegarde des biens des peuples : leur entretien et leur inscription au patrimoine de l’humanité et leur restitution à leurs pays d’origine », rappelaient les organisateurs d’un colloque consacré à ce grand témoin de l’histoire en 2020 à Dakar. « Notre destin n’est inscrit dans aucune fatalité », aime à rappeler Amadou Mahtar Mbow, qui s’est notamment illustré en tant que premier directeur issu du tiers-monde dans la défense de l’histoire générale de l’Afrique, la restauration du patrimoine mondial, comme l’Acropole d’Athènes. Il a également aidé à faire libérer certains prisonniers politiques d’Amérique latine. La deuxième université publique de Dakar porte son nom.
Depuis ce mardi matin, les hommages affluent du monde entier pour saluer la mémoire d’un « baobab », d’un sage. « Premier Africain à diriger une organisation internationale, humaniste convaincu, intellectuel complet, il a profondément marqué notre institution en défendant avec force l’exigence de solidarité et d’égales dignités entre les peuples et entre les cultures », a réagi l’actuelle directrice générale de l’Unesco, Audrey Azoulay.