Arrivée au pouvoir en août 2020 puis renouvelée par un second coup d’État militaire le 24 mai 2021, la junte au Mali n’a eu de cesse de conforter son contrôle sur l’ensemble des institutions et de la conduite des affaires du pays.
Après avoir dissous plusieurs organisations de la société civile et formations politiques jugées contestataires ces derniers mois, le chef de la junte, le colonel Assimi Goïta, a suspendu mercredi 10 avril « jusqu’à nouvel ordre, pour raison d’ordre public, des partis politiques et des activités à caractère politique des associations », selon le décret pris en conseil des ministres. Le lendemain, la Haute Autorité de la communication (HAC) lui a emboîté le pas en faisant interdire aux médias de couvrir les activités de ces partis politiques. La HAC « invite tous les médias (radios, télés, journaux écrits et en ligne) à arrêter toute diffusion et publication des activités des partis politiques et des activités à caractère politique des associations », écrit-elle dans un communiqué diffusé jeudi 11 avril.
Les raisons d’une rupture
Le gouvernement de transition malien soutient que « les actions de subversion des partis politiques et de leurs alliés ne font que se multiplier », alors que doit se tenir un dialogue national intermalien pour la paix annoncé le 31 décembre par le colonel Goïta. La poursuite de la lutte contre les groupes armés djihadistes et indépendantistes touaregs ne s’accommode pas de « débats politiques stériles », a dit le porte-parole du gouvernement, le colonel Abdoulaye Maïga, à la télévision nationale. « On ne peut pas mener un dialogue aussi crucial dans la cacophonie et la confusion », a-t-il ajouté.
Des arguments loin de convaincre la classe politique malienne et à l’étranger. En effet, la mesure de suspension des activités des partis politiques intervient dans un contexte marqué par le débat politique sur la fin de la Transition.
Le 31 mars dernier, plus de 80 partis politiques et organisations de la société civile ont signé une déclaration commune réclamant la tenue d’élections présidentielles « dans les meilleurs délais » et à la fin du régime militaire. Depuis la fin du mois de mars, le pays est dans une situation de vide juridique, les militaires s’étant maintenus au pouvoir au-delà du 26 mars 2024. Ils s’étaient pourtant engagés par décret à mettre fin à la période transitoire à cette date-là après des négociations intenses avec la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao).
« On n’est pas du tout dans un vide juridique, la transition continue », a rétorqué le colonel Maïga, évoquant la poursuite de la lutte contre les groupes armés djihadistes et indépendantistes touareg. « Le Mali est dans une phase critique », a-t-il déclaré. « Dans ces circonstances, on ne peut pas accepter que des débats politiques stériles nous ramènent là d’où nous venons », a-t-il dit.
De vives réactions
Dans tous les cas, l’annonce de cette mesure vécue comme un nouveau tour de vis contre les libertés fondamentales suscite de vives réactions au Mali et à l’étranger. La Maison de la presse, organisation non gouvernementale de tutelle, qui représente une partie de la profession au Mali, a appelé la presse « à ne pas se soumettre aux injonctions de la HAC ».
Alors que l’opposition malienne semble dans une large mesure condamnée au silence au Mali, c’est sur les réseaux sociaux que les réactions sont les plus vives. Sur Facebook, l’ancien Premier ministre Moussa Mara (2014-2015) a demandé aux autorités de revenir sur leur décision de suspension, un « recul majeur » qui « n’augure pas de lendemains apaisés ».
L’ancien ministre et président du parti Convergence pour le développement du Mali (Codem), Housseini Amion Guindo, a vivement réagi sur sa page Facebook, en affirmant que « le décret de suspension des activités des Partis politiques, en plus de représenter le summum du mépris pour le peuple malien, son histoire et sa culture, est en soi un acte de haute trahison qu’aucun fait ne saurait justifier », tout en appelant à la « désobéissance civile jusqu’à la chute du régime illégal et illégitime ». Mohamed Chérif Koné, magistrat en rébellion contre la junte et radié, a lui aussi prôné la désobéissance civile. D’autres opposants lui ont emboîté le pas.
À l’international, le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme s’est dit « profondément préoccupé » par la suspension des activités des partis. Le décret « doit être immédiatement abrogé », a-t-il réagi sur le réseau social X.
Le porte-parole du Département d’État américain, Matthew Miller, a, également dénoncé cette décision et a appelé le Mali à organiser des élections. « La liberté d’expression et la liberté d’association sont essentielles à une société ouverte. Nous appelons le gouvernement de transition du Mali à honorer ses engagements envers ses citoyens et à organiser des élections libres et équitables », a-t-il déclaré devant la presse.
Une junte droite dans ses bottes
Face à ce qui s’apparente à une véritable levée de boucliers, la riposte n’a pas tardé. Et c’est le Premier ministre, Choguel Kokalla Maïga, qui est, cette fois-ci, monté au créneau affirmant que la junte au pouvoir n’organisera des élections en vue d’un retour des civils au pouvoir qu’une fois le pays définitivement stabilisé. « La phase de stabilisation doit atteindre un point de non-retour, un point suffisamment stable pour pouvoir organiser des élections », a-t-il insisté sans donner de délai, mais tout en pointant du doigt un ennemi.
« Il y a des ennemis du Mali qui comptent sur ça, ils comptent sur la situation politique intérieure du Mali pour nous amener dans une sorte d’angélisme démocratique ; au nom de la démocratie on peut s’organiser, demander aux soldats de décrocher, demander de faire des élections pour amener un président faible sur lequel il va y avoir des pressions ». La rupture jusqu’à la lie.