Lorsque Deng Xiao Ping, compagnon de lutte de longue date de Mao Tsé Toung, revient aux affaires en 1977, comme vice-Premier ministre et ministre des Finances de la Chine Communiste, il entreprend de grands bouleversements sur le plan économique, scientifique et technique, qui prennent le contre-pied de la politique jusque-là impulsée par le père de la nation. Face aux irrédentistes qui voient en l’ouverture au monde occidental capitaliste un dévoiement des acquis de la révolution, Deng Xiao Ping tait les critiques et lance un aphorisme devenu célèbre aujourd’hui : « Peu importe qu’un chat soit noir ou blanc, s’il attrape la souris, c’est un bon chat ».
En d’autres termes, on ne demande pas la couleur du chat qui attrape la souris ; et si la Chine doit se développer, peu importe le modèle qu’elle doit copier du moment où celui-ci lui permet de refaire son retard sur les autres pays du monde. Les Africains sont le peuple ayant subi le plus d’avanies et de frustrations du fait de leurs origines et de leur couleur de peau. La traque au faciès dont ils ont été victimes devrait faire réfléchir nos frères sur le continent.
De fait, alors que certains révèrent le métissage, l’hybridation, la créolisation, bref la richesse de la diversité, d’autres s’arc-boutent farouchement sur l’idée d’une pureté originelle. En jouant ainsi contre les références négatives aux cultures de pays frères, notamment ceux d’Afrique de l’Ouest, dans un continent où le discours de haine sinue entre les interstices de la xénophobie, certains pays africains, prennent du plaisir à marquer la différence d’un trait continu discriminant.
Il y a quelques semaines en effet, le Conseil national des rites et traditions du Gabon, par la voix de son président, Junior Xavier Ndong Ndong, intronisé le 27 octobre 2023, a donné un ultimatum de six mois aux marabouts béninois et étrangers pour quitter le pays.
« À partir de ce jour, tous ceux qui pratiquent les fétiches, les marabouts étrangers sur le territoire gabonais, ont six mois pour arrêter et partir du Gabon », a-t-il martelé au cours de la cérémonie d’intronisation de son bureau. Cette Fatwa, lancée contre des tradi-praticiens étrangers au Gabon par cet organe, est le fait que certaines personnalités du pays ont davantage foi aux pouvoirs mystiques des marabouts béninois et étrangers qu’en ceux de leurs compatriotes « Nganga ».
Soit. La mondialisation a ses tares et ses avantages ; mais doit-on en ce 21ème siècle globalisant, ériger des barrières protectionnistes à l’exercice d’un métier dans un pays, sous prétexte d’exclure de sa pratique des étrangers ? La culture s’accommode-t-elle de tels préjugés manichéens et bassement hypocrites ? Se mettre en conflit avec des frères du continent sous le prétexte qu’ils ont une expertise recherchée et avérée dans la résolution de nombre de problèmes que rencontrent des populations ou des communautés, constitue-t-il la solution pour que des foules de Gabonais fassent la queue devant les officines des Nganga ?
La différence et la discrimination dont souffrent ces personnes du fait de leurs origines se situent aux antipodes du discours du président de la Transition, le général Brice Clotaire Oligui Nguema. Lors de son discours d’investiture, il avait rassuré les communautés étrangères sur la sérénité qu’elles devaient afficher quant à leur séjour en République gabonaise. Il avait délimité le périmètre opérationnel de celles-ci, en leur annonçant que les métiers de la fonction publique doivent rester aux Gabonais. « Le dire n’est pas de la xénophobie », avait-il assuré. À aucun moment, il n’a stigmatisé ni indexé personne.
Mais, d’où vient-il, qu’un marabout, à peine auréolé du titre de « président », en vienne à interdire de séjour ses collègues sous le prétexte qu’ils sont étrangers et attireraient plus de clients ? C’est dans la diversité que l’on tire le plus de bénéfices à construire un Etat dans toutes ses composantes. C’est également la diversité qui enrichit les hommes, les cultures, l’histoire des peuples et les nations.
La culture béninoise au Gabon est un plus pour le pays et ses habitants ; les communautés chinoises se baladent et exportent leur médecine partout dans le monde sans que cela n’offusque personne tant en Occident qu’en Afrique ; les pays du monde sont inondés d’idéologies ésotériques occidentales sans que cela n’ébranle un Etat ; la culture gabonaise est diffusée dans nombre de pays à travers des chants, danses et autres rites. Cela ne crée aucune levée de boucliers ici ou ailleurs.
L’interdiction de séjour au Gabon des marabouts béninois et étrangers va-t-elle redonner de la vitalité aux rites, cultes et traditions de ce pays qu’ont désertés les citoyens gabonais eux-mêmes ? Il est connu de tous que c’est le patient qui va à l’hôpital. Du coup, les marabouts béninois et étrangers ne font pas appel aux Gabonais ; mais ce sont les échos de leurs exploits qui font affluer par grappes, des personnes à la recherche de solutions pour leurs préoccupations multiformes.
De même, l’usage à l’envi des termes « authenticité » ou « identité » ne participe qu’à légitimer le discours de la discrimination et du refoulement de l’autre du fait de ses origines. Aussi serait-il souhaitable que les autorités qui n’ont pas réagi à cette sortie maladroite, malheureuse et mal placée, prennent position ouvertement afin de fixer les communautés étrangères vivant au Gabon et de leur métier. À défaut, qu’elles prennent le contre-pied de ce « président » qui se substitue au chef de l’Etat qui prône à contrario le vivre-ensemble.
Car, tous ceux et celles qui vivent au Gabon, sont utiles à ce pays. Eboueurs, taximen, ménagères, marabouts, commerçants… Tous autant qu’ils sont participent à la construction de ce pays. C’est pourquoi, on ne demande pas la couleur la couleur du chat qui attrape la souris.
Prosper Akpovi