Soudan du Sud : les enlèvements d’humanitaires se multiplient

Soudan du Sud

Au Soudan du Sud, les travailleurs humanitaires sont de plus en plus pris pour cibles. Le nombre d’enlèvements a plus que doublé cette année, inquiétant les agences internationales qui redoutent pour la sécurité de leur personnel et la continuité de leurs missions dans un pays plongé dans l’une des crises humanitaires les plus graves au monde.

Au moins trois témoins affirment que plusieurs otages ont été libérés après le paiement de rançons. Mais tous n’ont pas survécu : début septembre, un travailleur humanitaire est mort en captivité, selon plusieurs sources locales, confirmant la gravité d’une tendance qui menace l’avenir même de l’aide.

Une recrudescence sans précédent

Plus de 30 humanitaires sud-soudanais ont été kidnappés depuis janvier, selon deux responsables internationaux. Ce chiffre représente plus du double des enlèvements recensés sur toute l’année 2024. Les deux responsables, qui ont requis l’anonymat, expliquent craindre des représailles contre leurs équipes s’ils évoquaient publiquement la question de sécurité.

Les Nations unies considèrent depuis longtemps le Soudan du Sud comme l’un des pays les plus dangereux pour les travailleurs humanitaires. Mais pour Daniel Akech, expert auprès de l’International Crisis Group, la multiplication des enlèvements contre rançon « constitue une nouvelle tendance inquiétante » qui risque de s’étendre à l’échelle nationale.

Quand les kidnappings tournent au drame

Le 3 septembre, James Unguba, humanitaire sud-soudanais enlevé dans le comté de Tambura (Équatoria occidental), est mort en captivité. Selon trois témoins, il avait été arrêté par des hommes vêtus d’uniformes militaires. Les circonstances exactes de son décès demeurent floues.

Interrogée, l’armée sud-soudanaise a affirmé ne disposer d’aucune information sur ce cas et a refusé de répondre aux questions.

Des services vitaux paralysés

Ces enlèvements ont de lourdes conséquences. Dans plusieurs zones reculées, à la frontière avec l’Ouganda, la République démocratique du Congo et la Centrafrique, l’accès humanitaire est gravement compromis.

En juillet, Médecins Sans Frontières (MSF) a suspendu ses opérations dans deux comtés après l’enlèvement de deux de ses travailleurs, dont l’un à bord d’une ambulance clairement identifiée.

« Bien que nous soyons profondément engagés à fournir des soins à ceux qui en ont besoin, nous ne pouvons pas continuer à faire travailler notre personnel dans un environnement dangereux », a déclaré le docteur Ferdinand Atte, chef de mission de MSF au Soudan du Sud.

Groupes armés et économie en crise

L’identité des auteurs de ces enlèvements demeure floue. Pour Daniel Akech, la région est saturée de groupes armés en quête de profits rapides, sur fond d’effondrement économique et de tensions politiques croissantes.

« Nous ne savons pas si ces enlèvements sont le fait du NAS, des forces d’opposition ou des soldats gouvernementaux », souligne Edmund Yakani, militant de la société civile. « Aucun groupe en particulier n’est responsable. »

En mars, la détention du vice-président et chef de l’opposition Riek Machar, après la prise d’une base militaire par une milice locale, a ravivé les affrontements. Depuis, l’armée a intensifié ses opérations contre les rebelles, dont le Front de salut national (NAS), un groupe dissident qui n’a jamais signé l’accord de paix de 2018.

Une spirale inquiétante

Si les enlèvements à visée politique, comme le recrutement forcé, sont anciens, les enlèvements contre rançon constituent une évolution nouvelle. Les familles, confrontées à l’inaction des autorités et à la politique stricte de non-paiement des rançons des ONG et de l’ONU, se tournent parfois vers des acteurs neutres — notamment les églises — pour négocier la libération de leurs proches.

Pendant ce temps, les donateurs occidentaux réduisent leurs financements et la pression sur les humanitaires augmente. Selon le groupe Humanitarian Outcomes, 2024 a déjà été l’année la plus meurtrière jamais enregistrée pour les travailleurs humanitaires à l’échelle mondiale, et 2025 pourrait la dépasser.