L’institution dresse une liste de « manquements, anomalies et irrégularités » ayant affecté la trésorerie de l’Etat, tout en invalidant les chiffres officiels publiés sous l’ancien pouvoir, notamment sur la dette et le déficit budgétaire.
Avec ses 639 pièces et ses 408 bureaux refaits à neuf, le siège du gouvernement sénégalais, communément appelé « building administratif Mamadou-Dia », incarnait un Etat modernisé. Construit en 1953 et rénové pour une somme de 50 milliards de francs CFA (environ 76 millions d’euros), le complexe administratif se trouve au cœur d’un rapport de la Cour des comptes publié mercredi 12 février, qui l’associe désormais davantage aux dérives financières de la présidence de Macky Sall (2012-2024).
Ce rapport publié après dix mois d’audit des finances publiques dresse une liste de « manquements », d’« anomalies », d’« irrégularités » et d’autres « pratiques impactant la trésorerie de l’Etat ». Parmi la multiplicité des cas soulevés, le siège gouvernemental et neuf autres immeubles de l’Etat, dont le ministère des finances, ont été vendus en 2022, mais « le reliquat de 157 milliards de francs CFA n’a pas été reversé au Trésor public ».
Surtout, l’institution de contrôle vient invalider les chiffres officiels publiés sous Macky Sall, notamment sur la dette et le déficit budgétaire. L’encours de la dette représentait 99,67 % du PIB fin 2023, un taux supérieur à celui annoncé par le précédent pouvoir. Selon le rapport, qui couvre la période allant de 2019 au 31 mars 2024, le déficit budgétaire « recalculé » pour l’année 2023 est quant à lui de 12,3 %, contre 4,9 % annoncé. La Cour des comptes pointe aussi « une dette bancaire importante contractée hors circuit budgétaire » et « non retracée dans les comptes de l’Etat ».
En réaction à cette disparition présumée des deniers publics, cinq ministres de l’actuel gouvernement – dont celui de la justice, Ousmane Diagne – ont promis, lors d’une conférence de presse tenue jeudi dans l’un des bâtiments mis en cause, le lancement de « procédures judiciaires » contre les auteurs de « manquements graves ». Dans la liste des faits qui pourraient relever de « qualifications pénales », le garde des sceaux a pointé des « faux en écriture, faux en informatique, escroquerie, blanchiment d’argent, enrichissement illicite ».
« Chaque franc dépensé doit être justifié »
D’anciens ministres, mais aussi « des comptables, des gestionnaires et d’autres particuliers » pourraient se voir reprocher des « écarts de comptabilité » effectués « hors circuit budgétaire autorisé », selon Ousmane Diagne. Et Macky Sall ? Après son départ du pouvoir, l’ancien chef de l’Etat s’est installé à Marrakech, où il a créé une société de conseil de gestion, Semo Holding, en novembre 2024. Sera-t-il la cible de la convention de coopération judiciaire avec le Maroc, portant notamment sur l’extradition des personnes condamnées, ratifiée le 22 janvier en conseil des ministres ?
Pour le Sénégal, une opération « mains propres », en révélant au grand jour les fragilités des finances publiques, n’est pas sans risques. Pour certains experts, alors que les caisses de l’Etat n’ont pas encore livré tous leurs secrets, la question d’un défaut de paiement est en jeu. La dégradation de la note du pays par les agences de notation apparaît inéluctable. Le 5 octobre 2024, Moody’s l’a déjà abaissée à B1, classant le pays sous surveillance, dix jours après que le premier ministre, Ousmane Sonko, a dénoncé « la politique d’endettement effrénée […] favorable à une corruption généralisée » et asséné que « le régime de Macky Sall a menti au peuple, a menti aux partenaires, a tripatouillé les chiffres pour donner une image économique, financière, qui n’a rien à voir avec la réalité ».
Après cet « exercice de transparence sans précédent », toute la difficulté pour les autorités sénégalaises est de rassurer les bailleurs de fonds. « Chaque franc dépensé doit être justifié », a promis le ministre des finances, Cheikh Diba. A ses côtés, le ministre de l’économie, Abdourahmane Sarr, s’est montré plus prudent, avançant que « la dette et le déficit seront ramenés à une trajectoire baissière dans un horizon raisonnable ».
Le 27 décembre 2024, à l’occasion de sa déclaration de politique générale, Ousmane Sonko avait promis un déficit de 3 % dans un « horizon de maximum trois ans ». Des engagements qui apparaissent aujourd’hui de plus en plus difficiles à tenir. « L’ampleur de l’endettement de l’Etat va poser aux autorités le problème du refinancement de la dette. Leurs offres de liquidités vont être plus resserrées et cela va aggraver la trésorerie de l’Etat », prévient une source bancaire, qui rappelle qu’« avec une dette à 99 % du PIB, les marges de manœuvre sont extrêmement resserrées ».