Un texte de loi pourrait relégaliser l’excision, interdite depuis 2015 en Gambie. Et cela au nom de la tradition, argument défendu par les responsables religieux mais que contestent les défenseurs des droits des femmes. Cette éventualité divise l’opinion gambienne depuis des mois.
L’excision, interdite depuis neuf ans, pourrait redevenir légale via un texte visant à abroger la loi qui interdit les mutilations génitales féminines. Cette proposition a officiellement été déposée le 4 mars dernier par le parlementaire gambien Almameh Gibba. Examiné en première lecture, le texte est revenu devant l’Assemblée nationale le 18 mars. Cette mesure n’a finalement pas été votée et passera en commission pour un vote dont la date n’a pas été annoncée. De nombreuses organisations de la société civile pressent le gouvernement de rester ferme. L’ONU a appelé les élus de Gambie à « rapidement retirer » un projet de loi levant l’interdiction des mutilations génitales féminines, qui sont « une violation odieuse des droits humains ».
L’excision à nouveau légalisée en Gambie ?
« Nous sommes alarmés par le dépôt d’un projet de loi au parlement gambien visant à abroger la loi modifiant la loi sur les femmes de 2015 qui interdit les mutilations génitales féminines », a déclaré un porte-parole du Haut-Commissariat des Nations Unies. Pour lui, « il est crucial que la Gambie maintienne les acquis réalisés pour lutter contre cette pratique néfaste et continue de promouvoir une société qui protège les droits et la dignité de tous, en particulier des femmes et des filles ».
De leur côté, les pro-excisions font valoir l’argument communément brandi selon lequel ce qu’ils appellent la « circoncision féminine » – qu’ils distinguent d’une mutilation génitale- est une tradition profondément enracinée et que l’interdire enfreint leurs droits à pratiquer leurs coutumes.
76% des Gambiennes excisées
C’est en 2015 que l’ancien dictateur Yahya Jammeh, aujourd’hui en exil, décrète l’interdiction de l’excision en assurant qu’elle n’était pas prescrite par l’islam. La quasi totalité de la population gambienne est musulmane. 2015 toujours : le Parlement adopte le premier texte interdisant spécifiquement les mutilations génitales féminines, désormais punies de peines allant jusqu’à trois ans de prison.
L’Unicef caractérise les mutilations génitales féminines comme l’ablation partielle ou totale des organes génitaux externes pour des raisons non médicales. Elles constituent une violation des droits humains fondamentaux des filles et des femmes, dit-elle. L’Unicef chiffre à 200 millions le nombre de filles et de femmes victimes de ces mutilations. Selon l’ONG, 76% des Gambiennes de 15 à 49 ans ont subi des mutilations génitales et 75% des Gambiennes de 15 à 19 ans.
Des exciseuses condamnées : début de la polémique
Entre 2018 et 2021, une seule affaire de mutilations génitales a été portée devant un tribunal et aucune condamnation ni sanction prononcée, rapporte l’Unicef dans son rapport publié en 2021.
Mais, en 2023, une affaire vient mettre le feu aux poudres, ravivant le débat autour de cette loi interdisant ces pratiques et condamnant ceux et celles qui ne la respectent pas. Trois femmes sont condamnées à des amendes (15 000 dalasis soit environ 200 euros), donnant lieu à une levée de boucliers des chefs religieux. Un chef religieux paie les amendes. Le Conseil islamique suprême publie alors une fatwa (avis) affirmant la légalité de la « circoncision féminine » au regard de l’islam et disant qu’elle n’est pas seulement une coutume ancestrale mais aussi « une des vertus de l’islam ». Le Conseil, principale organisation musulmane du pays, demande au gouvernement de reconsidérer l’interdiction.
La Gambie signataire du Protocole de Maputo
« En tant que gens responsables, nous veillerons à ce que l’amendement proposé ne passe pas« , a indiqué le vice-président de l’Assemblée, Seedy Njie. Il a cependant suggéré qu’on suspende les poursuites contre les auteurs de mutilations génitales le temps que soient menées des campagnes de sensibilisation efficaces. Le chef de la majorité à l’Assemblée, Bilay Tunkara, explique cependant dans le même journal que son camp a besoin de se concerter jusqu’à la deuxième lecture le 18 mars avant d’arrêter sa position.
L’International Bar Association, association d’avocats, estime dans un communiqué daté de janvier que la proposition de loi levant l’interdiction a peu de chances d’entrer en vigueur à cause des obligations internationales de la Gambie : la loi actuelle est en effet adossée au Protocole de Maputo de l’Union africaine sur les droits des femmes, que la Gambie a ratifié en 2005. En France, un collectif d’associations de lutte contre l’excision a lancé une pétition sur internet contre ce projet de rélégalisation de cette pratique en Gambie.